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Pour acquérir les droits TV des compétitions sportives, les géants du web sont prêts à faire des folies pour concurrencer les principaux diffuseurs.

Caméra de bord de touche lors d’un match entre Liverpool et Manchester, en février 2016. CARL RECINE LIPEVIC / REUTERS

Les géants du numérique seraient-ils devenus le nouvel eldorado des détenteurs de droits sportifs ? L’interrogation semble légitime au regard des moyens gigantesque de ces multinationales, désignées aussi par l’acronyme GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui ont commencé à investir aux Etats-Unis et à poser quelques jalons en Europe.

Ainsi, en avril 2016, Twitter s’emparait, devant Verizon (opérateur américain), Yahoo! et Amazon, des droits numériques de dix des seize matchs de football américain du jeudi soir (Thursday Night Football), pour 10 millions de dollars. Un an plus tard, Amazon prenait sa revanche en proposant cinq fois plus que la firme à l’oiseau bleu. Venant ainsi sceller un nouvel accord avec la Ligue de football américain (NFL) pour la saison 2017-2018. Néanmoins, le géant de la distribution en ligne ne retransmet pas les matchs de NFL en exclusivité, mais en complément des canaux traditionnels que sont NBC, CBS, Fox et ESPN.

Pas encore d’effet Neymar

A l’instar de ses concurrents, Facebook s’est également montré très offensif. En course pour l’attribution, en 2016, des matchs de NFL, avant de se rétracter, le réseau social s’est ensuite positionné pour la retransmission de la Premier League indienne de cricket. Mais il sera finalement devancé par le groupe indien Star India (propriété de Rupert Murdoch), détenteur des droits de diffusion numérique depuis 2012, qui les obtiendra pour 2,6 milliards de dollars contre 600 millions pour Facebook. Revenant sur cet épisode, Dan Reed, directeur monde des partenariats sportifs chez Facebook, minimise : « Le cricket est incroyablement populaire en Inde. Même si nous avons échoué, nous avons montré notre volonté d’offrir le meilleur à nos utilisateurs. » Avant de se défendre quand on lui parle de droits TV : « Il s’agissait d’une offre digitale, donc différente de celle proposée par les chaînes classiques. »

Toujours est-il que les 600 millions de dollars que Facebook était prêt à débourser pour les seuls droits numériques en dit long sur les ambitions des GAFA.

Iront-ils pour autant jusqu’à lorgner sur les droits TV des championnats de foot français et anglais ? Actuellement au prix de 750 millions d’euros par saison (Ligue 2 comprise), la Ligue 1 Conforama espère, grâce à ses nouvelles stars, renégocier à la hausse ses droits en France. Bien qu’attendus par les ayants droit, les géants du numérique ne semblent pas prêts à investir. « Même si l’engouement prend de l’ampleur depuis l’arrivée notamment de Neymar, c’est encore un peu tôt pour la France », explique l’économiste Pascal Perri. Selon lui, il est plus probable que les GAFA investissent d’abord dans la Premier League anglaise, davantage suivie que la Ligue 1. Cette opération serait quasiment certaine pour les médias britanniques, qui annoncent déjà la présence de Facebook dans la bataille.

IL EST PLUS PROBABLE QUE LES GAFA INVESTISSENT D’ABORD DANS LA PREMIER LEAGUE ANGLAISE

Mais du côté des premiers intéressés, rien n’est moins sûr. Pour le moment, on préfère parler de « partenariat ». Comme Charles Savreux, porte-parole de YouTube France, qui clarifie sa position : « Google n’a pas de stratégie à se placer sur les droits en France ni ailleurs. Nous sommes juste là pour offrir à nos diffuseurs des possibilités d’étendre leur audience, comme avec Francetv Sport lors de grands événements. »

Même son de cloche du côté de Facebook. « Nous travaillons déjà avec les diffuseurs et les détenteurs de droits afin de les aider à atteindre un public mondial et leurs objectifs commerciaux. Au cours des six premiers mois de l’année, plus de 3 500 événements sportifs ont été diffusés en direct sur Facebook », souligne Dan Reed. Seule une petite partie d’entre eux était le résultat de partenariats rémunérés comme avec la chaîne Univision Deportes, la Major League Soccer, la World Surf League ou la Major League Baseball. Le reste a été diffusé de manière éparse. « En matière de sport, proposer des contenus live de qualité ne passe pas uniquement par l’achat de droits », explique-t-on du côté de Twitter. Préférant évoquer des « programmes exclusifs et complémentaires de la diffusion d’un match », sans donner davantage de détails.

Monétisation de l’audience

Seul Amazon, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, adopte une stratégie plus agressive. Pour attirer les clients vers son offre premium, la firme a obtenu le droit de retransmission audio, via une application mobile, des rencontres de Bundesliga (le championnat de football allemand).

Mais alors pourquoi le sport séduit-il autant les GAFA ? Ces géants du Net sont souvent des médias de l’instantané et le sport est l’un des rares vecteurs d’émotions collectives que tous peuvent partager au même moment. C’est aussi l’un des rares événements télévisuels à ne pas être touché par le replay. Le sport se vit en direct et souvent entre amis ou en famille. Le défi pour ces acteurs est donc celui de la monétisation de cette audience. Or c’est un moyen efficace pour diffuser des publicités, en particulier aux Etats-Unis, où les sports à temps mort sont nombreux à la télévision et très prisés du public.

Pour Pascal Perri, si l’investissement des GAFA n’en est qu’à ses balbutiements, on se dirige progressivement vers un bouleversement de l’acquisition des droits. « Cela a toujours été dans leur stratégie de parler de partenariat avec les diffuseurs. En réalité, ils testent des choses avant de frapper un grand coup. Il leur manque juste du contenu de diffusion », ajoute l’économiste.

Le développement des nouvelles pratiques de consommation, hors écran traditionnel de télévision, à travers les plateformes de streaming telles que Netflix ou son équivalent allemand dans le sport, DAZN, devrait profiter aux GAFA. De même que l’éparpillement de l’offre sportive, qui oblige le téléspectateur à jongler entre SFR, BeIN et Canal+, pourrait jouer en leur faveur afin d’imposer dans le futur une offre universelle.